Je me présente :
Accueil |
Cinq you La Cinq
Ah, le capitalisme... De nos jours, l'entretien capitalistique du milieu scolaire joue plus en faveur de la prolifération des Pokémon™ dans le primaire et des Marlboro™ dans le secondaire. Par contre, trouver un gosse qui connaisse la Révolution Française de 1789 ou l'Empire Napoléonien relève du plus grand défi, défi à proposer à ce jeu inepte qu'est le «Bigdil». Si notre belle équipe de France de football si joliment colorée ne chantait pas la «Marseillaise» à chacun de ses grands matchs (notamment Lilian Thuram qui y met toutes ses tripes en la chantant, et ce n'est pas le plus blanc de l'effectif, quitte à faire de la peine à Jean-Marie), je suppose qu'aujourd'hui plus personne ne la connaitrait. Justement, la Marseillaise, ce chant populaire venu de Strasbourg (et non de Marseille...) qui disait que le sang impur (alors à ce moment celui des nobles, faut pas être fou) devait abreuver les sillons, était scandé par toute une population désireuse à ce moment là de se libérer du joug esclavagiste des monarques absolutistes. Et en 1789, le «Peuple Souverain» crée un évènement jusqu'alors avant-gardiste dans le monde : la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen. Influencés par les idées maçonniques (ne perdons pas de vue que Georges Washington, premier président des États-Unis d'Amérique, était franc-maçon) et par le libéraliste Thomas Jefferson, les révolutionnaires français incluent donc dans leur liste de libertés fondamentales la Liberté d'Expression : «Article 11 : La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement [...]». Idée reprise dans la Bill Of Right des États-Unis d'Amérique en 1791, dont le premier article indique que «Le Congrès ne fera aucune loi relative à l'établissement d'une religion ou en interdisant le libre exercice; ou restreignant la liberté de parole ou de la presse [...]». Idée encore reprise dans la Constitution Française de 1958 par Charles de Gaulle. Mais voila, les intérêts capitalistiques de grands groupes de médias véreux ont eu raison depuis belle lurette de cette actuelle utopie qu'est la liberté d'expression. Regardez bien un kiosque : ce sont toujours les mêmes journaux qui sont mis en avant : Le Monde, Libération, le Figaro et votre quotidien local. Exit les Charlie Hebdo et autres Canards enchaînés : anticonformistes dans l'âme, ces journaux sont quelque peu écartés, ça dérange vous comprenez... Pour exemple : le magazine Entrevue, qui est plus un magazine d'enquêtes sur des sujets de société qu'un bouquin de cul, est obligé de faire chaque mois une couverture racoleuse pour s'atirer les bienveillances des buralistes et des tirages. Futé, lorsque l'on sait qu'entre Laurent Baffie, Patrick Bosso, un Zapping TV et Radio, des interviews et des enquêtes il n'y a que... 2 pages d'érotisme moins méchant que les navets de troisième partie de soirée le dimanche soir sur M6. Mais là, je veux vous parler de télévision, pas de presse. Je ne veux bien évidemment pas parler de La Cinquième, cet ersatz de chaîne culturelle à l'âme aussi froide qu'un roc, dont la personnalité insipide ferait pâlir mon eau d'Évian. Un contenu éditorial plus que neutre où l'on cherche encore la joie de vivre des animateurs et le réel ton de la chaîne. Et je ne parle pas de l'A.R.T.É. (Association Relative aux Télévisons Européennes) où une programmation souvent ratée est régulièrement béatifiée par mon taré de collègue de bureau. Fallait voir l'idée saugrenue de programmer un documentaire sur l'ex-Spice Girl Geri Halliwell durant les fêtes de fin d'année (comme si on n'avait pas vu assez de vache folle !). C'est de La Cinq que je vais vous parler, à travers un bref historique peu révélateur (ben oui, t'as déjà essayé de faire de la télé avec du papier, banane ?). En 1986, François Mitterrand a peur : les élections législatives ne sont pas gagnées d'avance. Dans la foulée des radios libres, il lance... les TV libres. Rien à voir avec Canal + qui était payante, ici on parlait de gratuité et de liberté de ton. Alors deux concessions de 18 ans sont accordées par la C.N.C.L. (Commission Nationale pour la Communication et les Libertés, autrement dit le C.S.A. de l'époque): une pour La Cinq et l'autre pour TV6. La gauche perd les législatives, arrive le gouvernement Chirac. Alors que la concession est reconduite pour Métropole Télévision (où TV6 devint M6), celle de La Cinq est annulée le 2 février 1987, pour être réattribuée vingt jours plus tard à de nouveaux actionnaires.
Ça y est : le 20 février 1986 La Cinq est enfin lancée. C'est le temps des divertissements à l'italienne avec des animateurs comme Amanda Lear, Christian Morin, Alain Gillot-Pétré ou Roger Zabel, agrémenté de séries et de films. La chaîne est encore marginale à cause du nombre réduit d'émetteurs à l'époque, ce qui était une couverture en gruyère impropre à une audience conséquente. Pourtant le 4 avril 1987 arrive un évènement majeur. TF1 est privatisée et cela ne gagne pas la confiance des animateurs phares de la chaîne qui préfèrent s'en remettre aux nouvelles stations : c'est ainsi que La Cinq voit Patrick Sabatier, Stéphane Collaro, Philippe Bouvard et Patrick Sébastien grossir ses rangs. Mais encore une fois, le problème du manque d'émetteurs se pose : audience insuffisante et du coup les animateurs retournent voir à TF1 s'ils y sont. 1987 est aussi l'année où La Cinq propose des journaux d'information qui étaient présentés à l'époque si mes souvenirs sont bons par Marie-France Cubbada (journal de 12h45) et par Guillaume Durand (celui de 20h00), une pointure du journalisme (tout du moins à l'époque) qui, je persiste à le dire, n'a jamais été aussi bien employé. L'Information attire mais la C.N.C.L. n'attribue que parcimonieusement ses émetteurs... En fait je me gourre, c'était Jean-Claude Bourret le midi et Marie-France Cubbada le soir, Durand a dû arriver plus tard. En 1988, la Société d'Exploitation de La Cinq demande à l'État 3,7 milliards de francs pour le préjudice subi lors des problèmes de concession en 1987, ce que l'État s'empressera de refuser, hein, on crée les TV libres mais faut pas nous demander la Lune non plus... La Cinq se hisse tant bien que mal parmi les chaînes françaises les plus regardées grâce à la formule «Un film par jour», des séries et toujours l'info. On est en 1989 et déjà se profilent à la fois la Guerre du Golfe qui fut pour La Cinq l'occasion de donner toute sa mesure en matière journalistique et l'arrivée du groupe Hachette comme actionnaire majoritaire. Avec eux, les ennuis, les plans sociaux et l'endettement pour la chaîne. Entre temps, La Cinq s'impose dans le sport en retransmettant le Paris-Dakar, les championnats de Formule 1 et d'autres évènements majeurs. En 1990 Hachette détient 25 % du capital et devient opérateur de la station. On est les boss, alors on change tout Coco : la grille des programmes, le logo et l'habillage (saluons le mauvais goût façon Jean-Paul Goude), on rénove les locaux et on crée une méga-rédaction pour l'information. Dans les deux dernières années de son existence, l'audience de La Cinq baisse, seuls les journaux se maintiennent grâce aux animateurs Jean-Claude Bourret, Marie-Laure Augry, Gilles Schneider (qui deviendra directeur de rédaction à Europe 1) et Béatrice Schönberg (qui restera présentatrice... sur TF1, puis France 2) et à des consultants connaissant réellement leur sujets : Christian Malar pour les affaires américaines (aujourd'hui sur France 3 au même poste) Pierre-Luc Séguillon pour la politique française (aujourd'hui sur LCI) et Jean-Marc Sylvestre pour l'économie (faisant des apparitions sur TF1 et LCI)... Durant la Guerre du Golfe, Guillaume Durand jouait les envoyés spéciaux et la rédaction de la chaîne était alors au zénith de sa compétence. Le conflit au Golfe sera de courte durée... 576 : c'est le nombre d'emplois qui seront supprimés après un plan social dit «de survie» car le Groupe Hachette est endetté jusqu'au cou, dans toutes ses filiales y compris... La Cinq. C'est en décembre 1991, les employés de la chaîne seront chômeurs dans cinq mois.
Le 2 janvier 1992, Jean-Claude Bourret crée l'Association de Défense de La Cinq, dont le nombre d'adhérents atteindra les 100.000 personnes en une semaine, pour finir quatre mois plus tard à plus de 1.500.000 inscrits. Des autocollants «Touche pas à ma Cinq» font leur apparition. 1992, l'année fatidique. En janvier, La Cinq est déclarée en cessation de paiements. En février une lueur d'espoir vient d'Italie : Silvio Berlusconi, magnat de la télévision italienne avec Canale Cinque, l'équivalent local de La Cinq, propose un plan de rachat de la chaîne. Les salariés et les téléspectateurs espèrent que cela va marcher. Mais le C.S.A. est défavorable à l'idée qu'un italien contrôle une chaîne française. C'est vrai que c'est mieux d'avoir des français qui jouent avec la vie sociale de centaines de journalistes et avec la liberté d'expression que d'avoir des italiens qui ont le fric... Et dire que en 1992 on votait pour le traité de Maastricht, la C.E.E., le rapprochements entre nations européennes, dont l'Italie faisait partie ! En voyant ce manque de coopération et cette méfiance, j'ai tout simplement mis le bulletin «NON À L'EUROPE» dans l'urne, mais si ce n'était que ça... En mars Silvio Berlusconi renonce sous la pression des chaînes concurrentes et du C.S.A., à mes yeux cette abjecte institution est l'équivalent du «Ministère de la Vérité» décrit par George Orwell dans son bouquin «1984». Le 3 avril 1992 La Cinq est mise en liquidation judiciaire. Le 12 avril 1992, c'est la mort en direct de La Cinq. Une grande première mondiale : la mort en direct d'une chaîne de télévision libre. À minuit, Jean-Claude Bourret, entouré des animateurs et des employés de la chaîne, ne peut que regarder le technicien abaisser une manette pour lancer la séquence de fin représentant une lune de parasites statiques recouvrant le soleil de l'information. Le message «LA CINQ VOUS PRIE DE L'EXCUSER POUR CETTE INTERRUPTION DÉFINITIVE DU SON ET DE L'IMAGE» apparait à l'écran suivi d'un laconique «C'EST FINI» avant de laisser place à un écran noir définitivement silencieux. Plus que la fin d'une chaîne, c'est le début d'une ère nouvelle qui commence. La fin de la liberté d'expression, le début du capitalisme exacerbé dans les médias. La multiplication exponentielle des chaînes du câble et du satellite amène une profusion de programmes tous plus insipides les uns que les autres et par là-dessus, une censure de type «passive». Je m'explique. La censure traditionnelle consistait à interdire, supprimer ou brûler les écrits jugés subversifs. Maintenant la surabondance de chaînes offre un éventail de programmes tellement large que les parts d'audience ne sont plus divisées en 6 chaînes mais en 1000 chaînes, les gens ne peuvent plus choisir parmi une offre aussi variée, et donc la majeure partie des programmes ne seront vus que par une minorité de spectateurs et tomberont rapidement dans l'oubli. Il y a huit ans la disparition d'une chaîne avait alimenté toutes les conversations, aujourd'hui cela laisserait indifférent le plus gros téléphage du pays... «Cinq you la 5» comme ils disaient. Cinq you pour cette belle aventure. Mais...
...comme disait Bernard Tapie, "voyant que la bête est à terre, ils ne prennent pas le temps de tirer le coup fatal". Et voila-t-y pas que nous assistons à la résurrection de la chaîne, non pas dans notre téléviseur, bien sûr, mais sous forme de... Web-TV. En effet, un jeune étudiant, Jean-Michel Léglise, accompagné de quelques amis maniant la souris et la table de montage comme Buffalo Bill le lasso, tous sous la bénédiction de Jean-Claude Bourret (oui, LE Jean-Claude Bourret), nostalgiques de cette chaîne et insatisfaits de la programmation télévisuelle actuelle, ont décidé de perpétuer ce que l'on avait alors appelé «L'Esprit Cinq», dix ans après la censure exercée par le C.S.A. Mais une démonstration valant tous les discours du monde, je vous laisse juger par vous-même. L'aventure ne continue pas, elle ne fait que commencer.
Retrouvez ici la bande-annonce pleine d'ironie de la dernière émission de La Cinq qui s'intitulait alors :
N'oubliez pas Le site historique de La Cinq qui m'a permis de retrouver la mémoire facilement.
Une réaction ? Une erreur ? Faites moi part de votre opinion au sujet de la suppression de cet espace de liberté, les meilleures seront publiées ici.
© 2000 Robert C. Dean. Toute reproduction partielle ou totale sans l'accord de l'auteur est interdite par le code de la propriété intellectuelle. |
Votre ami de toujours, Robert Clayton Dean, Ennemi d'État de son état.
|